LOIRE MAGAZINE

[PORTRAIT] Mehdi Djaadi : l’autodidacte curieux

Révélation des César en 2016, Mehdi Djaadi reçoit le don divin de la comédie. À 35 ans, le Stéphanois compte de nombreux courts et longs métrages, pièces et séries télévisées à son palmarès. Avec Coming out, il convertit son odyssée spirituelle en une pièce cocasse qu’il joue actuellement sur les planches parisiennes à guichets fermés.

Il était une foi(s)... Mehdi. Un garçon au cœur tendre qui grandit au Crêt-de-Roc, un quartier populaire de Saint-Étienne. Un brin chauvin, il se présente même comme « stéphanois avant d’être français ». Turbulent et peu enclin au cadre, Mehdi ne s’intègre pas au milieu scolaire. Sa mère l’envoie chaque mercredi à la médiathèque. Le lieu de la révélation. Il y découvre la littérature par la première œuvre qu’il lira : Si c’est un homme, de Primo Levi, une autobiographie sur la survie dans les camps d’extermination nazis. C’est alors qu’il accroche avec une matière que l’école n’enseigne pas : « l’être humain ». Mehdi s’entiche des mots et de l’art. « Souvent dans les rues de Saint-Étienne, noyau culturel, j’ai côtoyé les festivals, découvert le rap et la danse, compris l’art… », souligne-t-il. « L’homme a besoin d’émotions, c’est cathartique. L’art est vital. » Élément perturbateur des bancs d’école, le jeune Mehdi amuse la galerie en imitant et en interprétant quelques sketches. « J’apprenais des tirades d’humoristes par cœur et je les jouais ensuite pour mes camarades. » Un jour, ces derniers éclairent son avenir en le questionnant. « Pourquoi ne ferais-tu pas du théâtre ? » Et pourquoi pas ? Le jeune homme prend son destin en main. Il s’éloigne de ses habitudes et de sa ville, pourtant chère à son cœur, pour atteindre sa voie. À 20 ans, Mehdi rejoint le conservatoire de Valence sur audition. Amusé, il se souvient : « On m’a demandé de préparer un monologue. En sortant, je me suis demandé ce que c’était ! » Finalement, l’artiste en herbe choisit d’apprendre un passage du livre Le Prophète, empreint de poésie et de spiritualité, de Khalil Gibran. « Le lendemain, en jouant mon texte, j’ai su que j’étais à ma place. »

" Je me sens stéphanois avant français."

UN GARAGNA AU FEU SACRÉ

Mehdi Djaadi poursuit sa route en intégrant l’École supérieure d’art dramatique de Lausanne en Suisse, qui demande exigence et passion. « J’ai eu la chance d’entrer dans le secondaire sans bagage en poche. » Élève talentueux, il atteint son objectif. « À la remise des certifications, j’étais fier, notamment pour mes parents. » En 2016, encore jeune diplômé, l’artiste entre en scène en interprétant le rôle principal dans le film Je suis à vous tout de suite, un personnage qui lui vaut la Révélation César 2016. Il enchaîne l’année suivante avec un court métrage tourné à Saint-Étienne : Sacrilège. Un retour aux sources où il incarne le roi de son quartier. Ce film de Christophe M. Saber sera primé dans le monde entier. La même année, Mehdi conte son continent dans la pièce de théâtre I am Europe, de Falk Richter, une ode à l’idée européenne. En 2021, il tourne la série L’Opéra, diffusée sur Canal+. Puis il donne la réplique à Pierre Niney sur le grand écran dans Boîte Noire, un thriller de Yann Gozlan. « Le cinéma m’a toujours intrigué. Et au théâtre, je suis en communion avec l’instant présent. J’aime passer de l’un à l’autre », explique le comédien. « C’est une profession dans laquelle il existe plusieurs mondes imaginaires qu’on rend réels. C’est fascinant.» Pour glisser dans la peau de ses personnages, ce caméléon se métamorphose en journaliste. « Je suis un autodidacte curieux. » Mais, l’acteur est avant tout un humaniste. « C’est mon intérêt pour l’homme qui m’a transporté jusqu’ici », confie-t-il. Coming out, sa pièce qui « brise les stéréotypes » selon le New York Times, se joue à guichets fermés depuis des mois. Elle évoque son parcours, des rues d’un quartier populaire aux affiches de cinéma, sa quête spirituelle qui rejoint celle de chaque homme : « j’avais envie d’écrire une ode à la liberté d’expression et à l’anti-déterminisme. » Animé par l’humanité, il rend hommage à ceux qu’il a côtoyés. « La France est une multitude de vies et c’est une richesse. » Son spectacle est un coup de théâtre à la fois drôle et philosophique. « Je souhaite apporter un message d’espoir, rendre grâce. Rendre, tout simplement. Car j’ai beaucoup reçu. Moi, avec ma tête de garagna. » Avec autodérision et de bonne foi.